Josef Schovanec, un savant avec autisme

7 novembre 2014 par Luci Sogorb

Josef Schovanec, ambassadeur hors normes

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO

Josef Schovanec, docteur en philosophie.
Paris, septembre 2012. | Jean-François Joly pour Le Monde

Je suis né le 2 décembre 1981, le même jour et la même année que Britney Spears. J’ai vu le jour à Charenton-le-Pont, dans le Val-de-Marne, non loin de l’ancienne Maison royale, un asile psychiatrique. C’est là qu’est mort le marquis de Sade, un 2 décembre. Depuis la naissance, je suis marqué ! » Posez n’importe quelle question à Josef Schovanec et vous obtiendrez en général une réponse fleuve, brillante, désarmante parfois.
Assis devant un jus d’orange dans un café près de la place Denfert-Rochereau, à Paris, le jeune homme, diplômé de Sciences Po et docteur en philosophie, se prête au jeu du portrait sans effort apparent et avec le sourire. Il y a quelques années, une rencontre dans un tel endroit aurait été impossible. Trop de bruit, trop de monde. Josef Schovanec est autiste de haut niveau, atteint du syndrome d’Asperger.

Longtemps, il a passé ses journées dans sa chambre, restant parfois un mois sans sortir. Pendant cinq ans, il fut même sous « camisole chimique », étiqueté schizophrène. Depuis, il a appris à communiquer avec les neurotypiques (non-autistes), a intégré presque tous les codes de la « comédie sociale ». Josef Schovanec est aussi devenu un grand voyageur ; à l’étranger, dans le cadre de colloques ou de cours ; et en France, où il est convié pour parler d’autisme dans des conférences. De retour d’une session universitaire à Samarcande (Ouzbékistan), cet éternel étudiant, passionné de langues anciennes et de religions, se réjouit des contacts avec des gens trilingues qui passent d’une langue à une autre dans la même phrase. « Cette richesse culturelle, c’est aussi l’acceptation de la différence », sourit-il.
Un pneu ultra-performant qui tient la route !
En 2012, où l’autisme a été déclaré grande cause nationale, il s’est retrouvé d’une certaine façon porte-parole. « Je ne représente personne et n’ai pas de charge associative, mais je veux bien être un compagnon de route », précise-t-il. Il excelle dans le rôle. Lorsque nous l’avions rencontré pour la première fois, en juin, au Collège de France, où il intervenait sur le thème du défi de l’insertion professionnelle des autistes, il avait conquis la salle. Réussissant à captiver et sensibiliser son auditoire à ce sujet délicat tout en faisant fuser les rires.

« C’est important que les personnes avec autisme puissent nous communiquer leur vision de ce syndrome complexe, souligne le généticien Thomas Bourgeron, de l’Institut Pasteur. De plus, Josef explique admirablement bien les difficultés des individus avec le syndrome d’Asperger dans notre société. » « A force d’être un permanent du spectacle, on connaît les ficelles du métier, s’amuse l’intéressé. Mais l’autisme n’est pas une passion personnelle, je lis très peu sur ce sujet. Je raconte des petites histoires, celles de mes amis, les miennes. Parfois, je projette des diapos de Prix Nobel excentriques et bizarres. Cela fait rigoler, mais c’est très pédagogique. »

Sa propre histoire est assez emblématique. Ainsi de son enfance, vécue en partie en Suisse, et de sa scolarité, « extrêmement chaotiques ». Comme beaucoup d’autistes de haut niveau, le petit Josef a su lire et écrire bien avant de parler et marcher, avec tout ce que cela implique comme difficultés en milieu scolaire. « J’ai commencé à parler en CE2, mais seulement des sujets qui m’intéressaient : les moisissures, les pharaons, les processus de fossilisation… », se souvient-il. Il a souvent manqué les cours, n’a jamais pu manger à la cantine. Il s’en est sorti, dit-il, car il était dans de petits établissements assez souples, où l’on a su faire confiance à ses compétences.

Mais pour des enfants si décalés l’école peut vite devenir un lieu de souffrance. « Les autistes se font tabasser à toutes les récréations, parfois de façon musclée. Certains ne veulent plus sortir de chez eux », témoigne Josef Schovanec. L’idéal, selon lui, serait d’adapter leur scolarité en gardant un cadre le plus normal possible. « Il ne s’agit pas de mettre en club tous les miséreux de la Terre !, continue-t-il. Des postes d’AVS [auxiliaires de vie scolaire, qui accompagnent les enfants handicapés] sont créés, mais je vois des familles désespérées faire des grèves de la faim parce qu’elles ne parviennent pas à en obtenir. » Conférences, traduction d’ouvrages, formation de professionnels… Pour les autistes, Josef Schovanec fait beaucoup, souvent bénévolement. Il participe à l’unique émission entièrement réalisée par des autistes, sur la radio IDFM.

Pour le reste, son parcours professionnel est encore fragile. Le docteur en philosophie n’a jamais réussi aucun entretien d’embauche. Son « patron » depuis six ans, Hamou Bouakkaz, aujourd’hui adjoint au maire de Paris en charge de la démocratie locale et de la vie associative, l’a repéré et engagé « sans entretien d’embauche, et sans porter un regard sur lui », raconte l’élu, aveugle de naissance. Dans le cadre d’un emploi aidé, Josef Schovanec écrit, synthétise des documents, mais se fait aussi tête chercheuse, alimenteur de citations… pour Hamou Bouakkaz. « C’est un garçon d’une intelligence exceptionnelle, jamais dans le calcul », poursuit ce dernier, qui a adapté le poste de son assistant à ses difficultés sociales, en le dispensant de réunions par exemple. « Il pourrait être un excellent chercheur. Je lui souhaite de comprendre que son objectif est de prendre son envol, ne pas seulement devenir un expert de l’Asperger », dit-il.

Parfois, dans son combat militant, Josef Schovanec ressent la « lassitude du vétéran ». Ses mots sont sans concession pour certaines associations et certains politiques qui affichent une préoccupation pour l’autisme sans, au fond, véritable souci des intéressés. Alors il reprend facilement son bâton de pèlerin. « Quand on dit autisme, on pense enfants, et derrière eux il y a souvent des parents qui se battent. Mais on ne parle presque jamais des adultes et des autistes âgés. » Eux n’ont pas forcément grand monde pour les défendre.

Sandrine Cabut

– Luci Sogorb Praticienne de neurofeedback – Paris –


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