L’électroencéphalogramme – Hans Berger

14 mars 2018 par Luci Sogorb

 

 

N° 97 – Mars 2018

DÉCOUVERTES : Grandes expériences de neurosciences

Hans Berger, traqueur d’ondes cérébrales

 

 

 

Jour, nuit, saisons, marées… nous sommes environnés de rythmes.
Notre corps n’échappe pas à la règle et uctue, lui aussi, au rythme de diverses cadences, qu’elles soient cardiaque, respiratoire, circadienne – ou moins directement visible : cérébrale…
C’est en 1929 que cette oscillation électrique a été mise en évidence pour la première fois.
Son découvreur, Hans Berger, aura marqué l’histoire par une invention dont les répercussions s’observent encore aujourd’hui. Il s’agit de l’électroencéphalogramme.

 

Hans Berger naît en 1873 à Neuse, petite ville près de Cobourg en Allemagne. Après des études de mathématiques et d’astronomie interrompues par son service militaire, il part étudier la médecine à Iéna. Son thème de recherche est alors la «recherche de la corrélation entre l’activité objective du cerveau et les phénomènes subjectifs.»
Ce sujet n’est pas dicté par le hasard. Comme Berger l’écrira en 1940, il lui a été inspiré par une expérience vécue durant son service militaire.
Au cours d’un exercice, Berger chute de cheval et manque de se faire écraser par un attelage de canons. Un court instant, il voit la mort en face. Il s’en tire indemne, mais à quelques kilomètres de là, au domicile de la famille Berger, la jeune sœur du militaire a un sombre pressentiment et insiste pour que son père envoie un télégramme à la caserne.
Selon les mots de Berger, « ce fut un cas de télépathie spontanée par lequel, en face d’une mort imminente, j’ai transmis mes pensées à ma sœur qui m’était particulièrement proche. »
Berger se met donc en quête de «l’énergie psychique » en intégrant l’unité psychiatrique de l’université d’Iéna où il restera durant toute sa carrière.
On est à l’époque des tables tournantes, du spiritisme et des magnétiseurs…
Par chance, Berger, bien que mû par des intuitions que l’on qualiferait aujourd’hui d’ésotériques, est intégré au sein d’une structure de recherche scientifique de renom, sous la houlette du psychiatre et neurologue suisse Otto Binswanger, alors réputé pour ses travaux sur l’épilepsie, la neurasthénie ou l’hystérie.

À cette époque, le cerveau est déjà le centre de toutes les attentions. C’est dans notre crâne que l’on cherche depuis quelques années à détecter de potentiels signaux électriques ou magnétiques liés à l’activité mentale.
Ainsi, dès 1875, le Britannique Richard Caton a réalisé des enregistrements neurophysiologiques du cortex cérébral sur des lapins et des singes craniotomisés, c’est-à-dire dont on a retiré une partie de la voûte crânienne.
Il a montré de cette façon que l’apparition d’une activité électrique enregistrée dans des zones particulières du cerveau est associée à une activité fonctionnelle telle que la vision ou le mouvement…

 

UN MOMENT HISTORIQUE

 

Berger, lui, veut aller plus loin et trouver un moyen de détecter des activités électriques complexes chez l’être humain. Il s’y attelle dans les années 1920, sur des patients trépanés, c’est-à- dire dont la boîte crânienne a été ouverte, le plus souvent pour soulager un excès de pression dans le cerveau causé par des tumeurs à forte croissance inopérables. Berger dispose alors à la surface du cerveau des électrodes reliées à un galvanomètre à l, une invention récente utilisée initialement pour produire les premiers électrocardiogrammes. Le galvanomètre est constitué d’un l de quartz enrobé d’argent placé entre de puissants aimants: par le phénomène d’induc- tion, le passage d’un courant électrique dans le l, même faible, est susceptible de provoquer son déplacement. Après de multiples tentatives, le 6 juillet 1924, au cours d’une opération neurochi- rurgicale sur un garçon de 17 ans, Hans Berger mesure une in me vibration du l du galvano- mètre, réalisant ainsi, pour la première fois, l’enregistrement d’un courant électrique dans le cerveau humain.

Quelques années plus tard, il est le premier à amplifier le signal obtenu en 1929 sur crâne intact grâce à des électrodes placées, cette fois, sur le cuir chevelu.
Dans son rapport, il introduit le terme d’électroencéphalogramme, le préférant à celui, trop barbare, d’électrocérébrogramme…

 

Dans ses mesures, Hans Berger met en évidence des profils d’ondes particuliers.
Il pense d’abord qu’il s’agit d’ondes parasites sans importance, mais décrit ensuite deux types de tracés en forme de vagues qu’il appelle ondes alpha et bêta.
Par la suite, on ira jusqu’à distinguer cinq ondes reflétant l’activité électrique du cerveau humain : les ondes alpha, bêta, gamma, delta et thêta (voir la figure ci-dessous).
Chaque type d’onde est associé à un état mental particulier selon son amplitude et sa fréquence, l’état de conscience de la personne ayant une importance déterminante sur la fréquence de l’électroencéphalogramme.

© Lison Bernet


UNE ÉPOQUE QUI VIBRAIT AU RYTHME DES ONDES

Quelques années après la découverte de Berger, le Britannique Edgar Adrian complétera ses travaux en montrant notamment que les ondes électriques alors détectées par l’électroencéphalogramme étaient issues de l’arrière du cerveau, le lobe occipital, et ne résultaient pas d’un biais de mesure. Des travaux qui vaudront le prix Nobel à Adrian, en 1932…

De façon générale, le monde scientifique se passionne pour ces nouveaux phénomènes.
Une véritable effervescence règne dans le domaine, dans les années 1930 : en France, le neurologue Antoine Rémond réalise dès 1939 de nombreuses électroencéphalographies par la méthode Hans Berger, et il créera même en 1947 le laboratoire d’électroencéphalographie et de neurophysiologie appliquée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, aujourd’hui un des piliers dans la recherche sur l’imagerie cérébrale fonction- nelle.
Par ses travaux, il permettra de développer de nombreux aspects de cette technique en recherche fondamentale ainsi qu’une application à la clinique.
C’est en effet dans les années 1950 que l’électroencéphalographie commence à être couramment utilisée dans la pratique médicale.
Et c’est à cette même époque que Rémond fait le lien entre les enregistrements cérébraux et les états mentaux.

 

LA POSTÉRITÉ DE BERGER

Aujourd’hui, l’électroencéphalographie est utilisée en routine dans des milliers d’hôpitaux ou de centres de recherche dans le monde.
Autrefois, le tracé obtenu appelé électroencéphalogramme était représenté sur papier millimétré;
de nos jours, il est directement converti et interprété par un ordinateur, et profite de l’apport des amplificateurs modernes qui multiplient par un million les très faibles courants électriques produits par les neurones superficiels du cerveau (on ne peut mesurer par cette méthode ceux des neurones plus profonds).
Le tracé se représente sous forme de vagues ondulantes avec une amplitude et une fréquence plus ou moins importante.
Chaque variation est le reflet d’une activité neuronale particulière permettant ainsi de déterminer l’état de conscience d’un individu, et si son profil s’avère pathologique ou non.

Plusieurs fonctions cognitives ou motrices produisent également des profils électriques caractéristiques sur ce tracé.
Autre avantage: l’électroencéphalographie est le reflet direct de l’activité neuronale, contrairement aux techniques plus récentes comme l’IRM fonctionnelle ou la tomographie par émission de positons (aussi appelée PET-scan) qui se basent sur les changements de flux sanguins ou de métabolites.

Sa grande précision temporelle lui permet aussi de mesurer des signaux rapides toutes les millisecondes, un atout qui en fait un outil précieux pour l’évaluation du fonctionnement cérébral en temps réel.
En revanche, sa pauvre résolution spatiale l’empêche de localiser l’activité d’une zone précise du cerveau.
Pour cette raison, lorsqu’on souhaite réaliser des cartographies cérébrales par électroencéphalographie, on recourt à une technique appelée « potentiels évoqués ». Dans ce cas, le patient est d’abord soumis à un stimulus – visuel, sonore ou tactile –, de sorte que l’on enregistre la réaction de son cerveau à ce stimulus, et non son activité spontanée.
Pour favoriser la localisation d’un signal, il est également possible de mesurer des différences de potentiels électriques entre deux électrodes, afin d’étudier des zones particulières du cerveau.

UN BON OUTIL DE DIAGNOSTIC

La découverte de l’électroencéphalographie a bénéficié à l’essor des neurosciences, de la neurologie et de la neurochirurgie.
Quoique moins influente aujourd’hui que par le passé, elle est toujours utilisée pour le diagnostic de l’épilepsie (les premiers tracés de l’épilepsie avaient déjà été décrits par Berger), mais aussi pour l’analyse des troubles du sommeil, la détection de lésions cérébrales, de tumeurs ou de caillots, la recherche de l’origine de convulsions, de migraines, d’étourdissements et de somnolence. L’électroencéphalogramme est également un très bon indicateur dans le domaine de l’anesthésiologie, car il permet de suivre la profondeur d’une anesthésie pendant l’acte chirurgical mais également de réaliser le suivi d’un patient dans le coma dont le tracé sera bien différent d’un patient en état d’éveil.

De façon générale, la typologie des ondes cérébrales établie par Berger et ses successeurs donne une bonne indication de l’état mental d’un individu: plus la fréquence est élevée et l’amplitude faible, plus le sujet est conscient et actif.
À l’opposé, un rythme à basse fréquence et de grande amplitude signale une baisse de vigilance.
À l’heure actuelle, tous les processus cognitifs tels que la mémoire, le langage, l’émotion et tout autre comportement sont liés au moins à l’une de ces ondes.

Berger fut longtemps un travailleur de l’ombre. Il attendit cinq ans avant de publier les résultats de ses premières mesures.
Trois fois proposé pour l’attribution du prix Nobel, il ne le reçut jamais, et ce fut Edgar Adrian qui en recueillit le bénéfice.
Hostile au régime nazi, parti à la retraite en 1938 dans des conditions obscures (selon certains bio- graphes, il aurait été banni de l’université par les autorités), il sombra dans la dépression et se pendit dans la clinique où il était traité, en 1941.
Il avait pourtant réussi dans son projet, d’une certaine manière: découvrir la base de l’énergie psy- chique.
Même si celle-ci n’était peut-être pas exactement telle qu’il l’imaginait, en recevant le télégramme de sa sœur…

N° 97 – Mars 2018

© Photo by jean-Louis Atlan/Sygma via Getty Images


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